L’égalité professionnelle est de nos jours un acquis soutenu par le dispositif législatif et les femmes sont plus instruites qu’elles ne l’ont jamais été. Pourtant de nombreux freins subsistent à leur évolution de carrière, et les études démontrent qu’elles sont victimes d’une ségrégation professionnelle qui, sans s’avouer, les maintient dans les emplois subalternes ou non stratégiques, et ne leur permet que rarement de briser le fameux « plafond de verre ».
L’expression née dans les années 70, consacrée en 1986 par le Wall Street Journal, désigne « les barrières invisibles et artificielles, érigées par des préjugés d’ordre comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d’accéder à de hautes responsabilités. »
Femmes et pouvoir : le paradoxe !
Le modèle féminin est celui de la sensibilité, de l’émotion, de l’altruisme, de la douceur, de l’écoute, sinon de la soumission dans son acception la plus large (notamment à l’ensemble des obligations de la maternité et de la vie familiale).
Le modèle du pouvoir, lui, intègre implicitement les valeurs d’autorité, d’affirmation, de domination, de compétitivité, d’ambition, de force. Curieux, à quoi fait-il donc bien penser ? Pas à la féminité, en tout cas.
Il est évident pourtant que n’étant plus à l’ère préhistorique, où la force physique est question de survie, mais dans une économie de l’information, de la communication, de la connaissance, ces modèles devraient évoluer. Les femmes n’ont certes pas moins de matière grise, quant aux enjeux de la communication, nombre d’études montrent qu’elles excellent à les appréhender et les manier.
Mais ces stéréotypes, si dépassés nous semblent-ils, sont bel et bien encore profondément ancrés en chacun de nous, homme ou femme. Que nous le voulions ou non, ils impactent donc fortement nos comportements, nos attentes, et par là même les modes de structuration de l’entreprise.
Car les mécanismes de résistance humaine au changement font qu’il est naturellement beaucoup plus facile de valider une croyance que d’intégrer son contraire. Ainsi, quand une personne s’éloigne de ces schémas inconscients, ces mécanismes vont naturellement nous pousser à rechercher en elle ce qui pourra confirmer notre croyance, plutôt que remettre en cause notre modèle lui-même.
De l’art d’être hermaphrodite …
Les femmes sont ainsi souvent enfermées dans un cercle vicieux :
- Soit elles s’alignent sur les attentes liées à leur genre, à la féminité, auquel cas on leur dénie les qualités d’un leader (trop émotionnelle, trop douce, trop faible, pas assez autoritaire, trop consensuelle).
- Soit elles en sortent pour s’approcher du modèle classique de pouvoir, mais dès lors ne répondent plus aux attentes implicites que l’on a inconsciemment d’elles en tant que femmes ! (trop masculine, trop autoritaire, colérique, hystérique, insuffisamment conformiste).
Une étude a ainsi démontré qu’une femme dirigeante qui manifeste de la colère est jugée moins efficace que si elle maintient une neutralité d’émotion. Alors qu’un dirigeant qui se fâche est souvent perçu comme plus compétent, ou pour le moins, identiquement, qu’il exprime colère ou absence d’émotion (mais mal jugé s’il manifeste de la tristesse). Une femme ne se fâche pas : cela perturbe le modèle.
… et de celui de s’approprier ses succès
La réussite et le succès sont facilement mesurés à l’évidence du moyen : si ça se voit, c’est ce que ça marche. Le procédé est bien connu en marketing (les pilules roses font voir la vie en rose, la lessive blanche lave plus blanc, etc.).
Pourtant la force, si elle peut être un procédé ostentatoire, n’est que rarement le moyen optimal d’atteindre un objectif donné. Les arts martiaux nous le prouvent : le combattant chétif qui met à terre trois adversaires de deux fois sa taille (ou mieux encore, les rallie à sa cause sans avoir eu à le faire), aura in fine démontré bien plus de compréhension et de maîtrise des techniques de combat (qui intègrent aussi rapidité, opportunisme et intelligence de situation, souplesse …), que le gorille tout en muscles et puissance qui sera parvenu au même résultat.
Mais la pensée prédominante a du mal à accepter cette démonstration : elle associe implicitement pouvoir et masculinité, tend à croire que c’est la taille de l’outil qui fait son efficacité, la « grande gueule » qui fait le leadership, et l’autorité, la capacité à mener optimalement une équipe, une négociation ou une organisation à ses fins.
Par conséquent, les succès féminins, puisqu’ils dérangent ce modèle, seront plus facilement attribués à des facteurs extra-personnels (la chance, l’équipe, les relations …). Les qualités féminines auxquels ils ont fait appel seront revues sur un mode péjoratif (la manipulation, la promotion canapé …). Les échecs en revanche, seront d’office imputés à la qualité même de féminité. (faiblesse, surémotivité …)
De quoi décourager des moins résistantes aux plus volontaires ! Mais c’est la façon qu’a l’être humain de se rassurer : on ne remet pas si facilement en question ses schémas de pensée, on cherche à les valider.
Une femme doit donc surpasser suffisamment nettement un homologue masculin, pour compenser le problème qu’elle pose en sortant du schéma.
Encore devra-t-elle aussi se surpasser elle-même, et souvent posséder assez de caractéristiques participant et de sa féminité, et de la masculinité, ainsi qu’une adaptabilité hors normes à jongler avec les deux, pour être en mesure de répondre à la double contrainte qu’on lui impose, là où son homologue n’en subit qu’une.
Suite : 2 / Le plafond de verre – Pouvoir, féminité et management de la diversité.
2 commentaires sur “Le plafond de verre (1) Femmes et pouvoir : le paradoxe !”