J’ai croisé ces jours-ci en débat sur les réseaux la performativité du langage mise sur la table, à travers la communication gouvernementale (voir ici ou là) : vendre de la magie et du rêve peut-il les faire advenir ?
Et dans leur podcast (que je vous recommande, leur format est sympa), Mahé Bossu et Patrick Storhaye interrogent eux aussi : changer les mots, en mode pile ou face, peut-il changer la réalité ?
Finalement, « Yes, we can! » : est-ce que ça marche à tous les coups ?
Le blabla marketing ou la langue de bois du politique essaient de réinventer ce que, me semble-t-il, les oracles savent de tout temps.
Pour faire naître, il faut n’être…
N’être plus le « je » qui parlait, mais le déplacer là où ça parle. Techniquement, dans l’organisation sociale, cela suppose généralement de « s’y mettre » (c’est à dire y risquer sa peau, ses os, sans doute ses neurones miroir, et tout le reste aussi). Se décentrer pour plonger dans « les-inconscients-qui-courent », afin, par le questionnement, l’écoute – non écoute, l’action, de saisir la potentialité de sens, là où elle se trouve.
Honneur des Hommes, Saint LANGAGE,
Paul Valéry (La Pythie), également cité par Jacques Lacan in Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud
Discours prophétique et paré,
Belles chaînes en qui s’engage
Le dieu dans la chair égaré,
Illumination, largesse !
Voici parler une Sagesse
Et sonner cette auguste Voix
Qui se connaît quand elle sonne
N’être plus la voix de personne
Tant que des ondes et des bois !
Cristalliser le sens dans un univers de possibles
Ainsi, l’énoncer ne fait pas, par magie, advenir toute réalité. L’impossible ne se crée pas ex nihilo, inconditionnellement. (tant pis pour les diamants et le compte au Panama sur lesquels je comptais ;) ) Illusions de gouverneurs de la parole, qui pensent fabriquer du réel mais risquent de ne produire que de la comédie musicale : déconnectée de toute fondation de sens.
La parole peut actualiser des virtualités (et réciproquement) mais cette mécanique mobilisatrice de possibles, ne se fonde que d’univers de sens et des liens qu’elle y cristallise, saisis en leurs contextes, dans la profondeur de l’instant, de leur kairos.
J’en avais notamment évoqué un angle collectivement intéressant à l’heure de repenser la (toujours plus) grande dangerosité de nos réseaux sociaux (comment sublimer la récrimination toxique en sens d’action), dans cet ancien billet, avec la métaphore de l’huître perlière.
Faute de quoi, tous ces mots, « ça se consomme si bien que ça se consume » : ce sont les mots qu’on avale, qu’on digère et qu’on use, dans d’innombrables et dérisoires tentatives de créer d’illusoires possibles.
« Ce n’est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit moche, c’est au contraire quelque chose de follement astucieux, hein ? De follement astucieux, mais voué à la crevaison […] Ça suffit à ce que ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux, mais justement ça marche trop vite, ça se consomme, ça se consomme si bien que ça se consume. »
Jacques Lacan (Du discours psychanalytique)