Bill Gates l’avait dit en décembre 2005, lors d’une interview sur une télé indienne : « Google keeps all of the money with itself. » Et il avait poursuivi : « In its bid to share revenues with users, Microsoft may give free software or even cash to users. »
Depuis mercredi, le cash back se voit donc promu au rang d’arme stratégique, dans la lutte qui oppose Microsoft à Google.
Lancé cette semaine, le programme de cash back de Live Search, en partenariat avec eBay / Paypal, permettra aux consommateurs, chaque fois qu’ils réaliseront un achat à l’issue d’une recherche, de se voir rétrocéder un pourcentage de son montant (en général 2 à 5%). Il leur suffit de se connecter à leur compte Live Search Cashback, de saisir leur requête, ou de cliquer sur les (très explicites) icônes ornant le moteur !
Live Search Cashback intègre plus de 10 millions d’offres de plus de 700 vendeurs, dont eBay, Barnes & Noble, Overstock, etc.
Un déplacement stratégique des moteurs de recherche sur l’e-commerce
Cette annonce est la suite logique du rachat en septembre 2007 par Microsoft de la technologie de Jellyfish.com, un comparateur de prix avec cash back.
Elle suit également la très récente, et importante, évolution de Google Product Search (ex. Froogle), qui sait désormais parfaitement identifier certains produits courants et y a introduit un outil de comparaison directe. La requête « mp3 player », par exemple, agrège les produits identiques, augmentant nettement la pertinence de résultats et permettant l’intégration d’avis d’internautes, contrairement à l’ancienne méthode, visible sur une requête comme « doll », qui retourne un listing quasi-inexploitable, compte tenu de sa longueur et de la dispersion des références.
Microsoft suit donc, ou précède, un mouvement qui ne se focalise plus à 100% sur la recherche, mais se positionne sur le secteur e-commerce, où les moteurs avaient traditionnellement une présence stratégique pauvre, face au géant Amazon.
Un marché colossal
Il entend donc ainsi répondre à la recherche croissante de produits et de services, qui, selon eMarketer, représente 3.7 milliards de requêtes par mois. Et il compte bien prendre sa place là où débutent 68 % des transactions : au niveau des moteurs.
Comme l’a souligné le PDG d’eBay, l’association de l’expertise marketing, du volume et de la vélocité de ventes d’eBay, du leadership de PayPal en matière de paiements en ligne et du Cashback de Microsoft, est une opportunité d’augmenter la valeur du marché eBay. L’attrait de Microsoft pour Yahoo prend là aussi pleinement son sens : celui de la communauté d’utilisateurs et de comptes mails, et du potentiel vertigineux d’achats, qu’ils représentent.
Des enjeux d’information sur les habitudes de consommation
Ce nouveau service éclaire aussi de récentes rumeurs selon lesquelles Google envisageait le rachat d’Expedia, notamment pour combler ses lacunes e-commerce, domaine où, selon certains analystes, la connaissance des habitudes de navigation lui ferait le plus défaut. Enjeux que laissent deviner certains extraits de la FAQ de Live Search CashBack :
Q. Why are you paying me cashback?
A. We want to earn your loyalty and reward it with cashback savings for your everyday online shopping. We are ‘The Search That Pays You Back’!
Fidélité, récompense, achats quotidiens : les mots sont parlants et les enjeux colossaux. Au delà de la capacité à récupérer des parts de marché de recherche sur Google, en motivant les internautes par l’aubaine d’y percevoir une rémunération, c’est aussi l’information qui est visée.
Q. Can I get Live Search cashback if I don’t have an account?
A. No. You can still use Live Search to find products to buy, but we hope you want the extra cash!
Car contrairement à l’anonymat possible de la recherche ou des comparateurs de prix, pour percevoir du cash back, il faut s’inscrire. Donner des informations, voire posséder un compte électronique, et dévoiler ses habitudes de consommation individuelle.
Vers une globalisation de l’intermédiation commerciale ?
Un programme de cash back a cet atout, qu’il cerne mieux l’achat : en le précédant, mais aussi en le suivant. Il ouvre donc la porte à des interactions supplémentaires, de portée plus large que la simple promotion ou comparaison (versement de commission, cross-selling, collecte d’avis, médiation, etc.)
Dès lors, sa possible force réside dans sa capacité à exploiter des données stratégiques, d’analyse globale sur l’e-commerce, et individuelles sur l’internaute : chez qui il achète, quoi, quand, et ce qu’il en a pensé. Les potentialités de connaissance du marché, et de ciblage publicitaire, sont majeures.
Pour les comparateurs, eux-mêmes fortement dépendants de la qualité de leur présence sur les moteurs, ce déplacement de plus en plus précis des leaders de la recherche sur l’acte d’achat, représente également une menace, qui vise à intégrer en une seule, ce qui représentait auparavant deux étapes pour l’internaute : le moteur de recherche, puis le comparateur.
Se verront-ils progressivement imposer le maintien de leur visibilité à grand renfort de liens sponsorisés qui, eux, rapporteront à chaque clic, contrairement à l’énorme potentiel de référencement naturel que représentent leurs millions de pages produits ?
Un modèle publicitaire menaçant ?
Enfin, Microsoft a donc ainsi opté pour un modèle au CPA (coût par action) par préférence à celui, plus largement traditionnel en matière d’annonces, de CPC (coût par clic). Plus rassurant pour les commerçants, il leur permet de rester maîtres de leur investissement marketing et de son ROI, puisqu’ils paient, non pour être vus (CPM) ou cliqués (CPC), mais pour un achat effectivement réalisé et finalisé.
Cependant, si un e-commerçant pouvait déjà difficilement se passer des comparateurs de prix, un tel système tient aussi désormais pour quasi-acquis, que pour être présent sur Internet, la rémunération de l’intermédiaire devienne à terme incontournable.
Une chose est sûre : quels que soient les plans de Microsoft, et quelle que soit la réaction de Google, les acteurs de la recherche, de l’e-commerce, de l’intermédiation, de la comparaison et de la fidélisation, ne peuvent y être indifférents !
Reste à savoir si l’attractivité du cashback sera suffisante pour détourner les internautes de Google. Certains moteurs ont déjà essayé d’intégrer du cash back, avec des résultats mitigés. Quant au succès très discutable de Google Product Search, il montre aux moteurs les progrès leur restant à faire en ce domaine.
Mais la réputation de Microsoft, en focalisant l’attention des consommateurs, pourrait bien réviser la donne. Et, si elle ne suffit pas à Live Search pour contrer Google, elle pourrait en revanche largement contribuer, y compris en Europe, à dorer le blason du cash back (ou des programmes à points) auprès des internautes, des e-commerçants … et des géants de la recherche !
Commentaire sur “Le cash back, arme de guerre !”