Le choix est une condition nécessaire mais pas suffisante de la liberté. Etre privé de possibles restreint la liberté et pourtant il est vrai qu' »on a toujours le choix », jusqu’à l’ultime ressort : la fuite pour l’esclave, mourir plutôt que vivre… Il n’y a pas de libre-arbitre sans choix, pourtant la multiplication des possibles n’implique pas l’exercice du libre arbitre dès lors qu’ils sont déterminés au sens religieux, sociétal, éducatif, social, économique, culturel… Comment, alors, articuler en pratique le développement des possibles et la liberté ?
Si je suis impuissant, en es-tu plus libre ?
A supposer que tu puisses l’atteindre, à l’extrême de ta (toute)-puissance, à la limite infinie de ton éventail de choix et de possibles, tu n’auras pas une once de liberté en plus. Par régression à l’infini, la condition ultime de ta liberté est l’existence même d’un choix. Or son paradigme est l’être-ensemble. Ou, dit très simplement :
L’esclave qui se précipite vers une mort hautement probable pour s’enfuir, affirme et éprouve sa liberté. Attaché à la vie par un fil, il se révèle paradoxalement plus libre que son maître, condamné en toutes fins à se passer de lui, du fait de la réussite de la fuite, ou bien de son échec et de la sentence de mort à laquelle son système de valeurs l’oblige, quand bien même ce frère nié resterait le dernier humain sur terre.
La multiplicité incommensurable des choix du maître, devenu le jouet de leur « trop-plein exclusif », ne lui a pas conféré l’usage de la liberté.
Si tu réduis mes possibles pour augmenter inconsidérément les tiens, tu exacerbes ta puissance, mais tu n’exerces pas ta liberté. Pire, tu m’offres ainsi involontairement — même si j’y suis obligé par limitation, nécessité ou contrainte — de déployer une forme de liberté : celle-là même dont tu te prives. Par exemple, celle du détachement des matérialités où tu es toi-même enfermé : si miséreux je sois — ce qui n’a rien d’enviable, entendons-nous bien — j’en serai alors néanmoins devenu plus libre que toi, qui te seras rendu plus dépendant.
La liberté réside dans l’acte de libération. On voit que seule la mort éteint – ou transcende – cette liberté. Ce que découvre le paradoxe du choix lorsqu’il est exploré, c’est cette persistance de la liberté, qui continue de s’exercer — voire se tend, s’exacerbe — même au coeur d’un nombre de possibles réduit.
« La liberté c’est ce qu’il nous reste quand on a plus de choix »
Sartre
L’en-trop Pi, constante de révolution
L’entropie caractérise le degré de désordre, de désorganisation d’un système ; l’incertitude, l’imprédictibilité du point de vue du contenu informationnel.
Irai vers cible,
Rends vers, semant :« Rends-moi le maître et le disciple que tu as mis dans la leçon d’hier. »
(Trans-formation)
(NB : Si tu n’aimes pas le thé et/ou si tu le préfères sans sucre ni thermodynamique dedans et/ou si tu es un dresseur de Pokemon et/ou si tu détestes « mes-tas-forts-isthmes » incompréhensibles, tu peux aussi regarder « Tu es un esclave » – Le coup de Phil’ #20 sur YouTube avant de continuer)
Si, quel qu’en soit le procédé et sa rationalisation (force, persuasion, éducation, mathématisation ou conviction, violence directe ou symbolique…), tu parviens à augmenter inconsidérément tes choix possibles au détriment des miens ; si tu parviens à ce que je m’accoutume d’un monde où règne l’irrégularité et, sans trop de protestation apparente, à faire de mon ordinaire l’impuissance, la peur, l’injustice, l’insécurité, la pauvreté, la misère, le découragement, la violence, le désespoir, au point de les intérioriser comme miens — essentiels (est-ce en ciel ?) —, alors ne t’étonnes pas de ce que, dans ce monde insensé, j’apprenne les vertus du renversement. Or ce renversement qu’ainsi tu auras réalisé, c’est le tien, c’est ton monde. Car à cette école, j’aurais appris et je saurai alors parfaitement me passer de l’expression et du représentant de valeurs, du garant de l’égalité et de légalité, de la légitimité et de la vertu éducatives, économiques, sociales, sociétales, politiques, scientifiques ou religieuses, que, soutenu par ces mêmes procédés, tu prétend(ai)s incarner.
Il en ressort que tout possible non partagé, tout choix ou éventail de choix établi et capté sans viser à en unifier l’équilibre référentiel, devient la potentialité de sa perte à tous, la virtualité de ce dont chacun pourra, finalement, être privé.
C’est ainsi que (l’en-trop)-Pi est un rapport constant des circularités humaines et la liberté, l’agent néguentropique des systèmes sociaux.
L’effet mélioratif de la Liberté sur les sociétés humaines
La complexité croissante des sociétés humaines, caractérisée par une omniprésence conjuguée de rationalité hautement technicisée et de globalisation, est toujours plus marquée par des phénomènes d’extrêmisation et de concentration (dans les domaines sociaux, économiques, démographiques, financiers, climatiques, etc.) et de leurs corollaires en cygnes noirs (improbables aux conséquences à l’ampleur systémique), théorisés par le statisticien spécialiste des probabilités Nassim N. Taleb.
Ce qu’opère la liberté est une heuristique apte à contrer ces mécanismes puisqu’au pouvoir du singulier de « capter les possibles » (winners take all) répond ainsi celui, tout aussi singulier, de les annihiler et d’en créer de nouveaux.
Le pouvoir d’usage de la liberté est le don des dieux, l’outil d’infinitisation de l’horizon des possibles.
« Agis en sorte qu’autrui puisse augmenter le nombre de choix possibles ».
Heinz Von Foerster
(cité également par Edgar Morin, dans La Méthode, tome 6 – éthique : L’éthique de liberté pour autrui se résumerait à la parole de von Foerster : « Agis en sorte qu’autrui puisse augmenter le nombre de choix possibles ». )
Il n’est pas de socialité sans Liebe-erreté
Et voilà que l’on brandit les théoriciens de la complexité… finalement, la Liberté, lorsqu’on essaie de la comprendre et de la rationaliser, ça semble quelque peu obscur et conceptuel… Tout ça n’est pas très pratique, dis-moi ! Mais alors, si ne sais rien ou si peu de ces références savantes, ces allusions, ces ellipses et ces bifurcations, je fais comment ? Je bricole, je bidouille, je burine, je boulonne, je tambouille… mais suis-je privé de Liberté ?
Je pense au contraire que la Liberté contient une recette universelle très simple : la Liebe-erreté. (en allemand, Liebe = amour, aimée ; l’errance étant l’action d’errer, je nomme « erreté » la qualité de ce qui est errant, voire erratique). Ce qu’il me semble avoir compris de cette recette — mais je n’ai peut-être rien compris — est que, s’il arrive qu’elle soit parfois sacrificielle (selon les variétés situationnelles, elle s’exerce dans des ensembles de choix plus ou moins réduits et déséquilibrés), l’essence de la Liberté en revanche tient en ce qui justement n’est pas à comprendre, à raisonner, mais en ce qu’il s’agit seulement d’aimer, même — et surtout — « l’erreté ».
Le développement du vivant se fonde, outre la calculabilité, la prévisibilité, la reproductibilité, sur la confrontation au trouble, au désordre, à l’erreur, à la tentative, à l’aléa, à l’émergence, à la variabilité, à la volatilité ; et l’intégration constitutionnelle, organique, de leur diversité optionnelle. Amour de la divergence et de son intégration, la Liebe-erreté est un principe de vie, une fonction opératrice d’unité, qui fonde la socialité.
En effet, la liberté est enviable (mais, rappelons-le, aucunement les extrémités de choix dénuées de nécessité, auxquelles elle est souvent, par raccourci, associée) : mise en oeuvre, elle désigne la possibilité d’un astre ; une potentialité figurée ainsi exposée au désir social mimétique. (Voir par exemple ci-dessous Martin Luther King). Le désir peut ici être compris au sens étymologique de desiderare – regretter et sidus – l’étoile, évoquant une nostalgie de ce qui est manquant : l’astre est immanent, il a toujours été là, dans le « Tout » social, mais il n’était pas vu.
Ainsi, en dessinant aux horizons de possibles des singularités virtuelles, des « Etoiles du Berger » et des fils d’Ariane, des points de fuite qui vont guider ce désir social puis en cristalliser les « shift » (élévations) symboliques, la Liberté est le mécanisme anagogique, élévateur de la conscience commune, par lequel le réel s’augmente en « meta-réel » et la Vie déroule son processus.
« L’homme est condamné à être libre. »
Sartre
2 commentaires sur “Liberté (paradoxes et gais liens)”