La demande a une fonction agissante, une temporalité, qui diffèrent de celles de la question.
Ainsi on peut accepter ou refuser une demande, mais il serait en général assez spécieux d’accepter ou refuser une question. Tout au plus peut-on accepter ou refuser de répondre à la demande qui en est faite (qui n’est que l’acte d’exprimer la question).
Mais la question — et sa réponse — par leurs implications personnelles, contextuelles et leur dynamique évolutive, seront, elles, toujours négociables.
Des questions et des demandes
► La question (du latin -quaestio, recherche, quête) est une interrogation – qui a même pris le sens d’un interrogatoire avec torture -, dont le but est d’obtenir ou vérifier une information. Elle désigne la quête d’information ou son sujet, le problème sur lequel on s’informe : la question est recherche et information.
► La demande (du latin -mandare, charger d’une mission, lui-même de -manus, main et -dare, donner : donner en main) est le fait d’indiquer à quelqu’un, par des paroles, un écrit ou tout autre moyen, ce qu’on désire obtenir de lui. La demande, qui désigne l’acte de mettre une chose en main, ou la chose-même, est action et invitation à l’action.
On ne fait pas une question, on la pose, comme on (se) pose un problème de fond, et on l’étudie : la question est essentielle. Mais on fait une demande, acte existentiel aux contours substantiellement mieux délimitables.
Des demandes à la question
Ainsi, le bébé émet des demandes ; l’enfant se construit en élaborant ses questions, à partir de ses demandes et des retours qu’elles reçoivent.
« Peux-tu m’expliquer pourquoi le ciel est bleu ? » est une demande.
Demande qui, même acceptée, ne répondra pas – pas forcément, pas toujours, pas en tous référentiels et circonstances – à la question que je me pose : « Pourquoi le ciel est-il bleu ? » (question qui intègre la – ma – définition du ciel, du bleu, du temps, de l’espace, du climat, la description qui m’est intelligible des phénomènes de propagation de la lumière, etc.).
Mais demande qui peut être – ou pas – aisément satisfaite.
Quête de sens, la question nous guide à l’universel, en s’appuyant sur le chemin singulier des pas interactionnels de nos demandes. [efn_note] Cette approche n’est pas sans rappeler certains principes de la psychologie de la Gestalt, notamment ceux illustrés par l’illusion d’optique appelée « Vase de Rubin » et développés par le psychologue Edgar Rubin, sur la perception figure – fond, l’organisation cognitive entre tout et entités et les rapports émergeants de la distinction, de la démarcation des champs, dans les traitements psychiques complexes. [/efn_note]
Détournement de sens : des demandes en question
L’individu ou l’organisation qui traite indifféremment les deux, qui déforme / transforme une demande (mission à agir) en une question (quête subjective d’information), se donne donc la possibilité, non pas d’agir ou non-agir, mais de négocier avec. Techniquement, cela lui permet ainsi de mieux la rapprocher — par des mécanismes parfois hautement complexes — à ses propres questions — et réponses — (reflets de l’état de sa propre recherche, et non de la vôtre, ou de la mienne).
Mais peut-être est-ce aussi parfois là un défaut du savant ou de l’expert, qui, sûr de la fiabilité, de l’universalité ou de la complétude de ses représentations, pensant répondre à une question — mais répondant en fait aux siennes — va complètement négliger la demande : elle est si terre-à-terre.
La simplicité n’est que d’écouter la demande.