La lecture du monde par une partie du monde ne vaut jamais pour tous. Pourtant, la voix de l’innovateur, du lanceur d’alerte, du découvreur, de l’inventeur, du résistant, de l’objecteur de conscience ; celle qui contredit ou prétend élargir l’interprétation dominante, est rarement entendue.
Des ciels mornes et plats…
Car dans toute bulle culturelle, dans tout entre-soi social, chaque réfutation, chaque preuve, chaque fait, chaque détail, va aisément être réinterprété au prisme des codes dominants — y compris par certains systèmes aidants — pour pouvoir entrer sans trop de frictions ni de heurts dans les paradigmes en place. Sans que jamais ces visions du monde, elles-mêmes, ne soient remises en cause. Ou pas sans que cela prenne beaucoup de temps, parfois une ou plusieurs générations !
Or, scalés par le numérique, ces mécanismes explosent et se révèlent aux yeux de tous. Comme je l’ai souvent dit : tout l’intérêt pour nous de la boîte noire, c’est d’être clairement opaque.
… que la boîte noire éclaire
Je me suis, comme d’autres professionnels du numérique, bien amusée ces derniers mois avec Open AI ChatGPT et son Playground, Dalle-E et autres Intelligences Artificielles, de ce « donné à voir ». Ca en devient presque lassant, trop facile, de creuser leurs limites fonctionnelles et faire ressortir l’immensité de leurs failles structurales — même si les IA sont par ailleurs des outils aux apports riches et aux horizons passionnants — (J’y reviendrai dans un billet ultérieur)
En portant à l’échelle son opacité et ce qu’il en sort, la profondeur algorithmique nous donne l’extraordinaire opportunité de mieux comprendre et révéler ces mécanismes souterrains. C’est notre richesse contemporaine. Les exemples pullulent, la recherche a désormais, plus que le doigt, toute la main dessus et même les GAFAM ont plié. Pour ne prendre que cet exemple, — dont j’ai une immense expérience ;-) — les femmes sont « trop ceci ou pas assez cela »… mais pourtant, ce sont bien les Google, les Amazon, et toutes les grandes entreprises dans la foulée, qui in fine ont dû prendre acte de l’évidence et revoir leurs process d’analyse et de sélection algorithmiques, dans des contextes RH, eux-mêmes formes abouties de schémas et de principes — des plus implicites aux plus formels — préexistants. L’invisible rendu éclatant.
Chercher les reflets dans les voix du silence
« There is a crack, a crack in everything, that’s how the light gets in » chantait Léonard Cohen. Quand le paradigme se fissure, c’est par là que la lumière entre.
A nous de les explorer ces nouveaux territoires. Et c’est bien là le véritable enjeu: car assumer une vision clivante et les choix d’intégration qu’ils induisent est toujours difficile à porter. Avoir en étendard les Droits de l’Homme et des valeurs de liberté et d’égalité, est rarement assez auto-réalisateur pour se suffire. Comment faire évoluer un système, de l’intérieur-même du système ?
Cela suppose de suspendre le jugement, par delà toute autre tentative de rationalisation pseudo-cartésienne, de légitimation ou de justification. De faire la démarche de taire les évidences totalisantes, de se poser, d’écouter les sons du silence, et de rectifier, partout où ces voix inaudibles qui criaient leur expérience singulière, suffisaient pourtant à démontrer l’incomplétude du paradigme antérieur.
Le chemin du désir : l’étoile du Berger
C’est dans ce cheminement que le désir trouve son sens. Celui, psychanalytique, de tension vers l’altérité. Et celui, étymologique — desiderare (regretter l’absence de quelqu’un ou quelque chose), dérivé de sidus, -eris (constellation, étoile) —, qui évoque l’absence de l’astre, la nostalgie de ce qui est manquant.
Cette étoile du Berger de l’altérité, lorsque nous la voyons, oriente notre navigation. C’est dans les pas de côté que nous faisons pour parcourir ce chemin, en s’efforçant de s’y aligner, de s’extraire et de dépasser les paradigmes contextuels, civilisationnels, sans en demeurer prisonniers, que s’exprime notre libre-arbitre.
Et comme le changement du monde commence toujours par soi-même : laissez tomber le complexe de Superman, ajustez le masque (les yeux, c’est en face des trous) et suivez Sylvaine Pascual dans l’art de remettre, en douceur, votre héros intérieur à sa place (imaginaire) pour profiter du voyage.
L’astre qui nous guide est immanent, il est présent, quelque part dans le « Tout » social, mais il n’est pas (encore) vu. A nous de le chercher. Parfois dans le noir le plus profond, mais il est toujours là. Je vous souhaite pour 2023 une magnifique quête.