Je dis toujours que tout l’intérêt des boîtes noires est d’être clairement obscures. Elles ne cachent pas leur opacité : elles annoncent la couleur. Ce que le numérique offre ainsi à notre siècle est une échelle d’attention et de lecture nouvelle.
Comme une radio au rayon X, les boîtes noires révèlent à nos yeux l’ossature algorithmique dont elles sont faites.
L’homme contemporain a ainsi l’opportunité de mieux voir, et interpréter, la nature et la genèse de ces mécaniques apparemment obscures et complexes, formes évoluées, synthétiques et les plus abouties, de langages.
Ça peut faire peur. Quels monstres y a-t-il là-dedans ?
Reproduction, perroquets et (re)production de perroquets
Des perroquets. De simples perroquets. Des perroquets chatoyants, multicolores, bavards, puissants et talentueux improvisateurs probabilistes, qui répètent, imitent, prolongent et amplifient tout ce que nous disons et avons toujours dit.
Des perroquets comme ceux que l’imprimerie a déjà apportés à l’humanité grâce au système reproductif des livres, mais en encore mieux et en toujours plus. L’IA est un système de reproduction de perroquets.
Il y a 11 ans j’écrivais à propos de l’avenir « numérique » des contenus scolaires / éducatifs — « Bible du XXème siècle » — que « la structuration cloisonnée, linéaire et hautement reproductible des savoirs frôlait désormais des limites d’automatisation, là où l’enjeu éducatif est l’autonomisation ». « Tout homme est pape, une Bible à la main » disait Michel Serres, citant Boileau à propos de Luther.
Les Intelligences Artificielles génératives, qui fonctionnent sur un modèle caractéristiquement imitatif et prédictif, éclairent désormais mieux ce psittacisme. Par leurs simulacres de réponses, écho-prolongement de nos propres schémas, elles rendent ainsi aussi éclatants que risibles — et effrayants si nous n’en avons pas une certaine conscience —, notre art du clonage, nos biais dialectiques, nos talents xyloglottes (de la langue de bois) et nos dons très élaborés en prévisionnisme hautement stratégique à la petite semaine.
L’IA, tueuse d’intelligence d’oiseaux ?
Non, car la boîte noire contient aussi des cygnes noirs. Je vous accorde que, dans le noir, ils se voient moins. Mais ils ne manquent jamais d’intérêt. L‘intelligence humaine réside dans la capacité à les déceler et à transformer les grains de sable en perle, par une certaine créativité du vide.
L’art de l’artiste, du poète, du découvreur, de l’innovateur est invariant par l’Intelligence Artificielle. Il a de tous temps été, il est, et il restera, cette grâce quasi-mystique de ramener la vie du fond du gouffre et de créer à partir du néant. L’irréductible, l’inobjectivable, l’au-delà du calculable se manifestent de l’improbable — « chose au monde la moins partagée » —.
Ce que ne possède aucune Intelligence Artificielle, c’est l’accès développemental à cette dimension poïétique — une abyssale relation singulière à l’altérité radicale — d’où émergent et où tendent à l’infini, le possible et toute possibilité du possible.
La lumière jaillit toujours de l’invisible étincelle de l’entre-perroquets.